@gro-echos de septembre 2016 : Analyse des facteurs qui ont influencé la récolte 2016

La production de céréales à paille en France en 2016 - qualité sanitaire et technologique des grains, quelques éléments d’explication à partir de l’exemple du blé tendre..

Le contexte : La récolte des céréales à paille 2016 en général et du blé tendre en particulier a été catastrophique. Il s’agit d’une surprise partielle puisqu’au début de la moisson, mi juillet, la chute de récolte était attendue en baisse de 10% par rapport à 2015 à 71 quintaux par hectare de moyenne pour le blé tendre mais début septembre 2016, ce sont 30 % de chute de volume récolté, à 54 quintaux par hectare pour le blé tendre. Pour simplifier seul le cas du blé tendre sera traité dans les lignes qui suivent, les autres céréales à paille subissant également les mêmes stress climatiques avec quelques différences quant aux maladies associées.
On rappellera que déjà, en juillet 2007, année du dernier accident en date, les prévisions donnaient un rendement moyen comparable à juillet 2016. Au final, ce rendement, contre toute attente, est tombé à 66 quintaux /hectare. Lorsque des explications d’un phénomène n’ont pas permis de le prévoir, elles prennent une valeur « relative ». Nous n’allons donc pas essayer d’expliquer précisément le « pourquoi » de la récolte 2016, d’autres, bien plus compétents le feront avec bien plus de brio, mais nous allons repérer dans les différentes causes évoquées celles que nous pouvons corriger, laissant à la Nature celles hors de notre portée.

La qualité : Nous rappellerons seulement que la récolte 2016 outre la faible quantité de blé récolté a connu une forte baisse du pois spécifique avec 23 % des blés seulement qui ont un poids spécifique supérieur à 76 kg/hl (niveau exigible en meunerie) contre 99 % pour la récolte 2015. L’accès à certains marchés export est donc rendu plus compliqué. En revanche le taux de protéines du fait du faible volume s’améliore. Il est particulièrement bon avec 92 % des volumes supérieurs à 11,5 % (contre 12 % en 2015) et 64 % au-dessus de 12,5 %. Coté contaminants naturels, la récolte de blé 2016 française est plus contaminée par les fusariotoxines : déoxynivalénol et zearalenone qu’en 2015. Sur ce point la prévision de pré récolte était juste mais au final les analyses montrent une grande majorité de lots conformes aux normes. Des régulations naturelles expliquent cette évolution positive. L’ergot du seigle est également observé dans certaines parcelles envahies de graminées mais bien moins qu’en 2012 ou 2013. Fusariotoxines et ergot du seigle sont également des constantes dans les autres grands producteurs en Europe de l’ouest en 2016 mais plus encore en Amérique du Nord du fait des systèmes de production et du climat très favorable de 2016*. Les stocks de la récolte 2015 française sont en tous points le reflet inverse de la récolte 2016. Ces stocks issus de la récolte 2015 sont d’une qualité exceptionnelle sur le plan des contaminants naturels. Grace à cette sécurité et à un immense travail de tri et d’analyse des lots, les meuniers pourront obtenir des produits de qualité convenable acceptés par les marchés.
Les causes : Il n’est pas possible de hiérarchiser précisément les causes de la mauvaise récolte et des défauts de qualité en 2016, nous pouvons cependant identifier l’effet direct ou indirect de différentes caractéristiques du climat de décembre 2015 à juin 2016 qui déterminent différents stress biotiques ou abiotiques.
- un hiver exceptionnellement doux en particulier un mois de décembre qui a favorisé la multiplication de pucerons vecteurs d’un virus à partir de faibles populations d’insectes qui ont pu passer inaperçues pour de nombreux observateurs. Les maladies, rouille jaune dans le nord, rouille brune dans le sud, entre autres, ont bénéficié de cette douceur pour installer un potentiel infectieux très élevé.
 un printemps frais et peu ensoleillé a favorisé l’installation d’une biomasse importante mais avec une fragilité de la base de la tige pour les variétés n’ayant pas les plus fortes résistances à la verse.
 des mois de mai et de juin exceptionnellement pluvieux et gris principalement dans le centre, le nord et l’est du pays, ont favorisé les maladies des feuilles**, septoriose et rouille jaune dans le nord, septoriose et rouille brune dans le sud. Ces conditions climatiques ont également conduit à une contamination double des épis par des fusarioses toxinogènes et des « fusarioses » à microdochium. La fraicheur de début juin a permis aux secondes « fusarioses », à microdochium, de dominer le complexe avec un impact sur le volume de récolte, des réductions de poids spécifique et la production de petits grains mais une incidence bien moindre quant à la teneur en mycotoxines de la récolte.
Dans l’est, le centre et le nord de la France, les précipitations exceptionnelles ont noyé certaines parcelles, mais aussi gorgé d’eau le sol pendant plusieurs semaines, surtout les parcelles les plus productives, en sol profond, maintenant les racines des blés au stade floraison en situation d’anoxie.

L’ensemble de ces handicaps était connu et intégré dans les prévisions de récolte de mi juillet 2016

Pour expliquer le décrochage majeur de le récolte 2016*** les dernières hypothèses de l’institut technique font appel aussi à « un rayonnement cumulé en juin 20 à 30 % inférieur à celui d’un mois de juin normal ». Cela serait là un « phénomène exceptionnel et atypique ».
L’effet dépressif du facteur « rayonnement faible » ne peut qu’intervenir que cumulé aux autres facteurs de baisse du rendement propres à 2016 : excès d’eau au niveau des racines à un stade inhabituel, maladies des feuilles, maladies de l’épi, virus de la jaunisse nanisante, échecs de désherbage et verse. Un impact ponctuel de températures basses début mai est intégré dans cette somme d’effet. Des potentialisations entre facteurs de baisse du rendement sont vraisemblables mais toujours difficiles à caractériser.
Le manque de luminosité est signalé aussi chez nos voisins britanniques toutefois l’excès d’eau au stade épiaison, l’incidence du virus de la jaunisse nanisante, la maitrise de plus de plus difficile des graminées adventices et l’impact des maladies sont les principales causes évoquées chez nos voisins. Dans certaines parcelles du nord de l’Angleterre, les mauvaises herbes ont pu favoriser localement, comme en France, des contaminations par l’ergot du seigle même si ce champignon est resté plus discret qu’en 2012 ou 2013. Enfin l’ensemble des parcelles du nord de l’Europe a vu les interventions, notamment fongicides, par voie terrestres compromises dans les sols les plus lourds à partir du milieu du mois de mai, rendant la maitrise des maladies plus difficile en 2016.
Les conditions de récolte française, du fait de l’été chaud et relativement sec ont, généralement, été en revanche excellentes (contrairement à 2007) et ont limité une dégradation supplémentaire de la qualité, ce qui n’a pas été le cas au Royaume Uni et en Allemagne plus affectés lors de la récolte.

Conséquences et moyens d’action  : certains moyens correctifs ont marché, d’autres ont été insuffisants ou ont été entravés par la réglementation voire à terme sont menacés. Il en existe enfin qui peuvent être améliorés.
Virus de la jaunisse nanisante de l’orge  : Une protection très efficace contre des pucerons vecteurs est possible mais les faibles populations à l’automne 2015 parfois indétectables ont pu conduire à sous estimer les risques. Les 3/4 des parcelles non protégées ont été affectées plus ou moins gravement par la virose parfois aussi pour certaines insuffisamment protégées. Des questionnements sur l’avenir de cette protection existent avec des pucerons résistants à certains insecticides et une interdiction programmée pour les modes d’action les plus robustes.
Septoriose, rouille jaune, rouille brune  : ces maladies sont normalement bien contrôlées par les fongicides. Les difficultés pour passer avec des moyens terrestres dans les sols lourds plus exposés se sont posées ainsi que des limites règlementaires pour l’utilisation du chlorothalonil, fongicide le plus robuste. Ces difficultés ont pu réduire l’efficacité de la protection.
Fusariose de l’épi et microdochium  : Les performances des spécialités fongicides autorisées sont limitées et leur mise en œuvre a souvent été impossible ou moins efficace avec les moyens terrestres, seuls autorisés, étant donné la faible portance des sols.
Désherbage et ergot du seigle : Des phénomènes de résistance à la plupart des herbicides antigraminées et des limites règlementaires pour l’utilisation des plus robustes, notamment en sols drainés, ont rendu la lutte bien plus complexe et bien plus incertaine.
Verse physiologique : Les réducteurs de croissance font l’objet d’un débat quant à leur intérêt. Des retraits de substances actives sont intervenus récemment. L’utilité de cette régulation a pourtant été très manifeste en 2016. La tolérance des variétés à la verse est devenue un critère prioritaire.
Excès d’eau au niveau des racines en période d’épiaison et de floraison  : Depuis la réforme de la PAC de 1992, il est observé un quasi arrêt de la politique de soutien au drainage des sols et à l’évacuation des eaux en excès. De nombreuses parcelles restent exposées à l’engorgement du sol suite à des pluies importantes comme celles de 2016. Les parcelles drainées font l’objet de fortes restrictions pour l’utilisation de produits de protection des plantes notamment des herbicides. Le drainage des sols pour mieux protéger les milieux est toutefois envisagé avec des drains associé à des Zone Tampons Humides Artificielles, nouvelle appellation pour des « mares » élaborées, adaptées à une « dépollution » de haut niveau de l’eau sortant des parcelles. Il s’agit certainement d’un investissement d’avenir pour l’agriculture et la protection des milieux.
Manque de luminosité en phase de floraison  : c’est le seul facteur sur lequel l’agriculteur ou le régulateur n’ait pas d’action. Il existe donc un questionnement sur les conséquences de l’agroforesterie qui renforcerait l’ombrage des plantes lorsque la luminosité est déficitaire dans les régions du nord de la France avec un fort impact sur le rendement et la qualité comme le souligne l’institut technique en 2016.
_ Moyens pour améliorer une récolte avec des carences de qualité : Une forte variabilité géographique de la qualité la récolte française est notée en 2016. Elle confirme que du blé panifiable cultivé bien au delà des besoins de la meunerie et en différentes zones climatiques du territoire est indispensable pour assurer la sécurité alimentaire (incluant celle sanitaire) de la France et de ses principaux clients. Il s’agit là de surmonter, comme en 2016, un accident climatique touchant les principales régions productrices de l’hexagone. La possibilité de valoriser la récolte de blé 2015 excédentaire, de qualité parfaite à l’exception du taux de protéines, avec des caractéristiques inverses de celles de la récolte 2016 et encore en stock, illustre l’importance d’outils de stockage permettant d’aller au delà d’un an pour une fraction de la récolte. L’investissement dans des silos modernes et le maintien de solutions techniques pour éviter le développement d’insectes des denrées constituent une priorité absolue.

*La qualité du blé dur en Amérique du nord est particulièrement impactée par les mycotoxines en 2016, si le volume de récolte est exceptionnel, une bonne part de ce blé ne pourra être valorisé en alimentation humaine, http://www.agweek.com/news/nation-and-world/4118198-toxin-may-lift-durum-wheat-prices-despite-huge-harvest. La qualité du blé meunier n’est pas non plus au rendez vous en Amérique du nord et en Russie alors que la quantité a progressé. http://www.starherald.com/farm_ranch/milling-quality-wheat-supply-much-smaller-than-meets-the-eye/article_1070fd59-49ee-5d29-aae7-1dc7cbbba374.html. Ces agriculteurs ont eu largement recours à des protections contre les fusarioses toxinogènes avec des fongicides et si nécessaire des traitements aériens pour éviter une dégradation encore plus forte. http://www.producer.com/2016/09/short-supply-of-milling-wheat-likely/
Il sera donc fait largement appel à des mélanges avec les stocks de 2015 pour assurer un blé réellement panifiable. Les prix mondiaux pour le blé de qualité n’ont toujours pris la mesure de ce constat tardif mais des observateurs avertis s’attendent à une évolution dans les prochains mois.

**Des maladies du pied du blé plus fréquentes en 2016 ont également impacté le rendement mais de façon moindre que les maladies des feuilles. La nuisibilité de ces maladies est exceptionnelle en 2016, plus de 30% récupérables avec des fongicides contre 20% en 2015, sur des rendements réduits de 30% dans les parcelles bien protégées.

***La comparaison avec la récolte 2007 est intéressante. La campagne 2006-2007 est caractérisée par un mois d’avril plus chaud et sec favorisant la rouille brune y compris dans le nord et l’est de la France , un mois de juin plus chaud favorisant des fusarioses toxinogènes avec des teneur de la récolte inégalées pour les mycotoxines et une pression de virus de la jaunisse nanisante très forte, équivalente à 2016.

@gro-échos


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