Étude sur l’âge du vignoble et des vignes arrachées dans le bassin viticole Languedoc-Roussillon- Analyse & Études n°8 - Juillet 2018

Les dépérissements et les baisses de rendement du vignoble sont des sujets de préoccupation grandissants des professionnels du secteur vitivinicole et le bassin Languedoc-Roussillon (LR) n’échappe pas au phénomène. C’est dans ce contexte qu’il a paru pertinent à la DRAAF Occitanie d’étudier, dans une démarche exploratoire, à partir de la base de données du casier viticole informatisé (CVI), l’âge et la longévité des parcelles de vigne du bassin en analysant l’incidence
des facteurs cépage et localisation sur les données statistiques observées. Ces analyses ont été menées conjointement par les services régionaux de l’information statistique, économique et territoriale (SRISET) et de FranceAgriMer, à la lumière des profondes évolutions structurelles qui ont marqué le vignoble du Languedoc- Roussillon durant les quarante dernières années.

Sommaire
 Un vignoble profondément remanié qui occupe toujours la première place au niveau national
 Un vignoble jeune, marqué par plus de 40 ans de restructuration et d’incitations à l’arrachage
 L’étude des vignes arrachées révèle quelques surprises

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Un vignoble profondément remanié qui occupe toujours la première place au niveau national

Depuis la fin des années 70, le vignoble du Languedoc-Roussillon s’est profondément transformé, dans un contexte de crises viticoles récurrentes et d’évolutions constantes des attentes du marché.

Sous l’effet de politiques publiques volontaristes et des fonds nationaux et communautaires massivement mobilisés, le vignoble a été amputé de plus de 170 000 ha durant les 40 dernières années (40 % de sa surface initiale), et sur la même période, la restructuration axée principalement sur le changement de cépages a concerné plus de 200 000 ha.

L’âge moyen du vignoble, l’encépagement, la longévité des vignes et leur dynamique de renouvellement ont été fortement impactés par ces évolutions structurelles. Par ailleurs, au cours de cette période de recomposition du vignoble une baisse tendancielle des rendements viticoles est observée, accentuée par le changement climatique et la progression des dépérissements prématurés au vignoble. Dans ce contexte, cette étude permet de documenter, à partir du casier viticole (CVI), l’âge des vignes et leur durée de vie, ceci de façon globale et au regard des facteurs cépage et département de localisation.

Le bassin compte actuellement, d’après le CVI, environ 245 000 ha de vignes plantées (en production ou non). C’est le premier bassin viticole de France en surface et en volume de production. Les quatre cépages principaux, Syrah, Grenache noir, Carignan et Merlot, occupent près de la moitié des surfaces du vignoble. A noter que le Merlot et la Syrah ont émergé et se sont développés dans le bassin LR à la faveur des programmes de restructuration mis en œuvre ces dernières décennies.

Tab. 1 : Surface des principaux cépages du bassin viticole Languedoc-Roussillon

L’Hérault est le premier département viticole du bassin avec plus de 90 000 ha qui correspondent
à 38 % de la surface en vignes du bassin. Les Pyrénées-Orientales regroupent 26 000 ha de vignes, l’Aude et le Gard respectivement environ 70 000 ha et 60 000 ha. En comparaison, le reste de l’Occitanie compte moins de 38 000 ha de vignes.

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Un vignoble jeune, marqué par plus de 40 ans de restructuration et d’incitations à l’arrachage

L’étude que nous avons réalisée sur l’âge des vignes porte sur 228 000 ha de vignes (sur les 245 000 ha du bassin viticole).
L’âge moyen des vignes du bassin est de 21 ans et l’âge médian est de 16 ans (50% du vignoble a moins de 16 ans).
Ce vignoble est donc relativement jeune, situation résultant de deux éléments complémentaires :
• des replantations actives soutenues par les aides communautaires (organisation commune du marché OCM Vin) à la restructuration du vignoble depuis le début des années 80 ;
• des programmes d’arrachages subventionnés au titre de l’OCM Vin menés entre 1977 et 2011 qui ont accéléré sur la fin du programme l’élimination de vignes anciennes.

Graph. 1 : Distribution de l’âge des vignes dans le Bassin viticole Languedoc-Roussillon

Incidence du facteur géographique
Les différences entre départements sont significatives* : le vignoble des Pyrénées Orientales a un âge moyen plus élevé que celui des autres départements avec une moyenne proche de 30 ans. L’Aude a le vignoble le plus jeune avec un âge inférieur à 20 ans en moyenne.
* Des analyses de variances soutiennent que ces résultats sont très significatifs

Graph. 2 : Age moyen des vignes par département dans le Bassin viticole Languedoc-Roussillon

Le facteur cépage très discriminant
Les différences d’âge entre les cépages sont très significatives*. Les parcelles de Carignan, cépage traditionnel du bassin, ont l’âge moyen le plus élevé (plus de 40 ans). Ceci contraste avec l’âge des vignes de Syrah (moins de 20 ans) qui reste un cépage relativement récent dans le bassin avec un essor des plantations dans les années 80 et 90, conjugué à un renouvellement des parcelles rapide lié à des mortalités importantes sur vignes jeunes. Ce cépage dominant dans le bassin viticole (cf. tableau 1), explique en partie le fait que l’âge moyen du vignoble du bassin soit relativement faible.
Comme le montre le tableau 2, l’âge moyen des parcelles pour les différents cépages peut être différent selon leur localisation départementale.

Tab. 2 : Profil de l’âge de quatre cépages (Syrah, grenache N, Cinsaut, Carignan) selon le département

Source : CVI 2015

Le Grenache noir est un exemple notable, l’âge moyen des parcelles est plus élevé dans les Pyrénées-Orientales que dans les autres départements. Une des explications est que ce cépage entre dans la composition de nombreuses appellations traditionnelles du Roussillon (vins doux naturels en particulier) qui privilégient les faibles productions de vignes anciennes.

Graph. 3 : Age moyen de quatre cépages dans le Bassin viticole Languedoc-Roussillon

Source : CVI 2015

Un renouvellement et une longévité différenciés selon les cépages

Les pyramides des âges (ci-dessous) donnent des indications plus fines sur les stratégies de plantation de ces dernières décennies. Ainsi, les parcelles de Syrah, de Grenache noir, de Cinsaut et de Carignan ont des profils d’âge très différents.

Graph. 4 : pyramide des âges moyen de quatre cépages (Syrah, grenache N, Cinsaut, Carignan) dans le Bassin viticole Languedoc-Roussillon

Source : CVI 2015

• Le Grenache noir a une distribution des âges proche de la distribution globale (cf. graph. 1), il semble donc que ce cépage ait une place relativement stable dans les plantations
du bassin.
• Le Carignan et le Cinsaut montrent des profils similaires avec des courbes multimodales (selon deux pics). Ces deux cépages, anciennement présents dans le bassin, ont été relativement délaissés pendant une période (les cépages « améliorateurs » d’autres régions étaient privilégiés) et ont progressivement connu un renouveau. Le regain d’intérêt pour le Cinsaut est dû au fort développement des vins rosés à partir du début des années 2000. En ce qui concerne le Carignan, ce cépage qui résiste bien au stress hydrique, redevient intéressant dans un contexte de changement climatique et participe, ces dernières années, au renforcement de l’identité de certaines AOP (Fitou, Corbières,..).
• La Syrah a connu un fort développement dans les années 1980 et 1990 (quasiment absente avant cette période). Puis, ce cépage a régressé dans les plantations du fait de la sensibilité au dépérissement de certains de ses clones.

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L’étude des vignes arrachées révèle quelques surprises

Une proportion inattendue de vignes arrachées ayant moins de 20 ans

L’échantillon extrait du CVI que nous avons analysé porte sur 24 000 ha de vignes arrachées sur une période de 5 ans, entre 2011 et 2015. Cette période n’a pas connu d’aides à l’arrachage qui pourraient biaiser les résultats. Le graphique 5 donne la distribution de l’âge à l’arrachage sur cette période dans tout le vignoble du bassin. Ainsi, près de 20 % des vignes arrachées dans le bassin viticole ont un âge inférieur à 20 ans. Ceci équivaut à plus 1 000 ha par an à l’échelle du bassin. Le graphique 6 montre la répartition des vignes arrachées par tranches d’âge. La proportion élevée de vignes jeunes dans les arrachages est d’autant plus importante que l’on se trouve dans l’Aude (22 %) et les Pyrénées-Orientales (24 %), bien que ce dernier département possède le vignoble le plus âgé du bassin viticole. A contrario le Gard semble être moins touché par ce phénomène avec 15 %de vignes arrachées avant l’âge de 20 ans mais cette proportion reste tout de même élevée.

Graph. 5 : Distribution de l’âge à l’arrachage des vignes dans le Bassin viticole Languedoc-Roussillon

Source : CVI 2015 En vert : Médiane (30 ans) en brun Moyenne (34 ans)

Graph. 6 : classification par tranche d’âge des vignes arrachées par département

Source : CVI 2015

Le Gard et l’Aude : deux profils de longévité marqués par des différences notables

La suite de l’analyse porte sur les six principaux cépages du bassin (Syrah, Merlot, Grenache, Chardonnay, Carignan et Cabernet sauvignon) et compare l’Aude et le Gard.
L’âge médian des vignes arrachées dans l’Aude est globalement inférieur à celui observé dans le Gard (graphique 7) : 29 ans contre 33 ans. Ceci est d’autant plus marquant pour le Grenache noir pour lequel l’écart atteint 12 ans. En effet, l’âge médian à l’arrachage du Grenache noir gardois est de 38 ans (moyenne de 38 ans également) contre 26 ans pour l’Aude (avec une moyenne de 30 ans).
Graph. 7 : Profils des âges des parcelles de vignes arrachées dans l’Aude et le Gard des 6 principaux cépages

Source : CVI 2015

La médiane de l’âge à l’arrachage du Carignan est proche dans les 2 départements. Par contre le profil de distribution montre des arrachages de vignes jeunes dans l’Aude que l’on ne retrouve pas de façon aussi marquée dans le Gard.
Pour une analyse plus précise, le graphique 8 donne les distributions de l’âge à l’arrachage de ces deux cépages. Ce graphique met en évidence de façon plus nette la surreprésentation des surfaces arrachées avant 20 ans dans l’Aude en comparaison au Gard. Pour le Carignan, les courbes entre les deux départements sont assez similaires, sauf en ce qui concerne les vignes de moins de 20 ans : dans l’Aude, il y a un pic d’arrachage entre 10 et 20 ans. Les vignes plantées durant le « renouveau » du Carignan (fin des années 1990 début 2000) dans le bassin ont été beaucoup plus arrachées dans l’Aude que le Gard. Dans ce dernier département, la proportion de vignes jeunes arrachées en Carignan est même très faible.

Graph. 8 : Distribution de l’âge à l’arrache du Grenache noir et du Carignan dans l’Aude et le Gard

Source : CVI 2015 En vert : Médiane - En brun : Moyenne

Un fort taux de renouvellement est observé dans l’Aude même en ce qui concerne les cépages traditionnels à bonne longévité (Grenache et Carignan). Ceci explique pourquoi le vignoble de ce département est le plus jeune du bassin viticole (cf. graphique 2). La comparaison avec le Gard est d’autant plus intéressante que les pratiques d’exploitation sont similaires entre les deux départements et qu’aucune raison d’origine biologique (génétique, pathogènes, etc.) ne semble expliquer cette différence. D’autres investigations seraient nécessaires pour expliquer cette caractéristique du vignoble audois, notamment la question économique de la rentabilité et de la productivité qui pourrait expliquer une moindre longévité d’une partie des vignes. A noter qu’on retrouve cette caractéristique particulière dans le vignoble des Pyrénées Orientales.

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Discussion et perspectives
Grâce à cette étude, l’âge du vignoble a pu être caractérisé dans l’ensemble du bassin viticole Languedoc-Roussillon. Ce vignoble est relativement jeune (21 ans en moyenne) en particulier dans le département de l’Aude (19,7 ans). Le développement récent de la Syrah parait être une des raisons de ce constat. En effet, ce cépage est aujourd’hui le plus représenté dans le bassin viticole avec près de 40 000 ha et un âge moyen de 17,5 ans. Les Pyrénées-Orientales semblent tout de même se démarquer de ce constat avec un âge moyen du vignoble de 29,6 ans. Ceci concorde avec une forte présence de « vieilles vignes » notamment en Carignan et surtout en Grenache Noir, dans ce département où la part du vignoble AOP est élevée.
L’étude met également en évidence un taux d’arrachage des parcelles de vignes de moins de 20 ans élevé dans tous les départements du bassin. Les Pyrénées-Orientales (qui paradoxalement ont le vignoble plus ancien) et l’Aude sont les plus touchées par ce phénomène, le Gard paraissant être un peu épargné. La comparaison entre le Gard et l’Aude met en évidence des différences marquées sur ce facteur « âge des vignes arrachées ». Ces différences sont particulièrement nettes pour le Grenache noir et pour le Carignan dans une moindre mesure. Notons que ces cépages traditionnels du bassin ont la réputation de permettre une longévité élevée des parcelles. Les pratiques des exploitants et les risques biologiques ne paraissent pas pouvoir expliquer clairement les différences observées entre les 2 départements. Il faudrait sans doute poursuivre les investigations sur d’autres aspects pour éclairer le sujet.
De nombreuses causes sont à l’origine d’un dépérissement du vignoble, au premier plan desquelles les maladies du bois et autres problèmes pathologiques (flavescence dorée ou virus du court-noué par exemple), les aléas climatiques et les désordres d’origine génétique de certains clones (observés notamment chez la Syrah). Dans un contexte d’évolution permanente du marché mondialisé qui exige de rester compétitif, le vignoble français (mais aussi européen) est impacté par le dépérissement de la vigne qui peut remettre en cause la pérennité de certaines exploitations. Consciente de l’ampleur du problème, la profession à travers le Comité National des Interprofessions des Vins (CNIV) a décidé de lancer en 2016, avec l’appui des pouvoirs publics, le « Plan national de Dépérissement du vignoble ». Notre analyse permet en partie d’illustrer et documenter certains éléments questionnés par ce projet. Ce travail qui apporte de nouveaux éclairages sur la problématique du dépérissement pourrait utilement être étendu à d’autres bassins viticoles. Il serait également intéressant de le compléter par des enquêtes parcellaires pour avoir, au delà des données du CVI, une photographie plus précise de l’état physique des vignes au moment de leur arrachage.

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