Quelques profils de viticulteurs de l’Hérault et du Gard : Pratiques alternatives au désherbage chimique de la vigne
Un continuum du non-usage à l’usage de glyphosate
Les hypothèses pour expliquer le changement de pratiques
L’analyse des statistiques de vente de glyphosate dans les départements du Gard et de l’Hérault met en évidence une baisse de l’usage de cette substance active entre la période 2014-2016 et la période 2020-2022 (moyenne triennale de la quantité de substance active (QSA)). Cette baisse est particulièrement marquée dans le Gard avec -32 %, à l’origine du quart de la baisse observée en Occitanie sur cette même période. Le département de l’Hérault se situe à -18 % (en deçà de la baisse régionale moyenne de -26 %).
Le travail réalisé en 2023 pour la viticulture dans ces deux départements (publication « Les achats de glyphosate en Occitanie, étude des facteurs potentiels favorisant la baisse de ces achats », DRAAF Occitanie) a permis de montrer qu’une partie de la baisse (autour de la moitié de la diminution) peut s’expliquer par différents facteurs dont les principaux sont :
- Le développement de l’agriculture biologique (AB) ;
- L’engagement dans des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) de réduction des produits phytosanitaires ;
- Les aides à la mécanisation ;
- L’enherbement des vignes
L’enquête qualitative réalisée en 2024 a eu pour objectif de compléter les résultats de 2023 à travers une enquête de terrain, tout en donnant la parole aux viticulteurs. Elle a permis de tenter d’identifier d’autres facteurs de changement de pratiques pouvant également expliquer la réduction de l’usage de glyphosate en viticulture, et d’expliciter leur importance.
Une enquête qualitative conduite par entretien auprès de 27 viticulteurs dans 2 départements : le Gard et l’Hérault. La moitié des personnes enquêtées se trouve dans une aire d’alimentation de captage, zone où une animation existe depuis plusieurs années afin de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires et ainsi lutter contre les pollutions diffuses risquant d’impacter la qualité de l’eau prélevée par le captage. L’enquête a été réalisée en 2024, entre les mois de mai et de juillet.
L’entretien avec le viticulteur a duré en moyenne une heure et a porté sur 5 thématiques :
- Le profil de l’enquêté : formation, installation, motivations, âge ;
- Les caractéristiques de l’exploitation : surface, taille économique, main-d’œuvre, mode de commercialisation, diversification, certification, irrigation ;
- L’entretien du sol : travaux du sol, désherbage mécanique, enherbement, satisfaction ;
- La perception des produits phytosanitaires : critères de choix, type de conseil, indépendance, connaissance des produits ;
- L’usage du glyphosate : appréciation qualitative, investissement, évolution de l’usage, freins au changement, préconisations.
3 questions et 12 hypothèses pour identifier les facteurs de changement de pratiques
1) Quelle incidence a le contexte de l’exploitation ou celui de l’installation de l’exploitant sur l’utilisation du glyphosate ?
Hypothèse 1 : L’âge, la formation et l’ancienneté de l’exploitant ont une incidence sur la prise de décision concernant les pratiques agricoles.
Hypothèse 2 : La taille de l’exploitation (SAU) / la dimension économique impacte le changement de pratiques.
Hypothèse 3 : La santé financière de l’exploitation joue un rôle majeur dans la prise de risque / de décision.
Hypothèse 4 : La stratégie de production suivie influence les pratiques d’entretien du sol (cahier des charges, certifications, produits sous signe de qualité, standards de marché, réponse à la concurrence…).
Hypothèse 5 : Si l’exploitant possède d’autres types de culture, il peut alors calquer l’utilisation qu’il a du glyphosate sur la vigne ; ou son temps de travail dédié à la vigne peut être moins important.
Hypothèse 6 : La situation géographique et le contexte pédoclimatique de l’exploitation influencent les pratiques.
Hypothèse 7 : La vision de l’exploitant sur son métier et sur les produits phytosanitaires influe sur ses pratiques.
2) Quels sont les impacts des relations familiales, professionnelles et des représentations sociales sur l’utilisation du glyphosate en viticulture ?
Hypothèse 8 : Le devoir d’exemplarité lié à certaines fonctions implique des pratiques agricoles considérées comme plus respectueuses de l’environnement.
Hypothèse 9 : L’engagement collectif a un fort impact sur la diffusion d’informations et sur le changement de pratiques, que ce soit par l’intégration dans un collectif d’agriculteurs engagés dans la transition agroécologique, par la cave coopérative ou autre.
Hypothèse 10 : La place du conseil dans l’achat et les pratiques d’utilisation du glyphosate est non négligeable.
Hypothèse 11 : Le circuit court ou les relations sociales accentuent la prise de conscience des enjeux environnementaux et liés à la santé des consommateurs et des exploitants.
3) Quelle est l’influence du contexte réglementaire sur l’utilisation du glyphosate en viticulture ?
Hypothèse 12 : Le contexte réglementaire a eu des conséquences sur l’itinéraire technique.
Avertissement
Cette publication ne tire aucune conclusion quant à l’usage du glyphosate dans les exploitations viticoles du Gard et de l’Hérault. Elle n’a pas de valeur représentative de la viticulture de ces deux départements.
Ce faisant, il n’est pas possible d’utiliser les données présentées à des fins statistiques pour en faire une analyse quantitative. Les informations recueillies montrent une diversité de systèmes et de pratiques. Les thématiques abordées permettent de révéler ou non une convergence d’informations pour expliciter les déterminants de l’usage du glyphosate. Cette étude permet principalement de donner la parole aux viticulteurs et d’exposer leur point de vue vis-à-vis de leurs pratiques et de leur perception du glyphosate.
Les 27 viticulteurs
Étant envisagé de déduire des profils puis des situations types au regard de l’utilisation du glyphosate, l’échantillonnage vise à approcher la diversité des situations (en lien avec les variables sélectionnées) plutôt qu’une représentativité statistique.
Principales caractéristiques
La majorité des enquêtés gère entre 15 et 50 ha de vignes, avec un débouché de cave coopérative et appartiennent à la tranche d’âge de 44 à 55 ans (plus jeunes que l’ensemble des viticulteurs au niveau des deux départements concernés).
Pour leur majorité, ils n’ont pas d’activité de diversification autres que celle de la production agricole.
Enfin, ils utilisent majoritairement du glyphosate et sont classés dans la catégorie des proactifs vis à vis de la réduction de la dose employée.
Les 3 types de viticulteurs de cette étude
Cette étude classe les viticulteurs selon 3 catégories afin d’expliciter une analyse plus fine des entretiens :
1) N’utilisant plus de glyphosate
2) Utilisant du glyphosate :
- Proactifs : viticulteurs ayant une réelle volonté de réduire la dose employée même s’ils ont toujours recours à la dose maximale autorisée. Sont également intégrés à cette catégorie les exploitants qui n’ont pas forcément cette volonté mais qui malgré tout ont mis en place des pratiques sur leur exploitation pour favoriser la diminution de la quantité de produit utilisée.
- Non proactifs : viticulteurs n’ayant pas mis en place de pratiques favorisant une diminution de leur utilisation de glyphosate et n’en ayant pas la volonté.
Tableau 1 : Caractéristiques des viticulteurs enquêtés selon les variables choisies pour l’échantillonnage

Légende des graphes
Applicable à tous les graphiques de la publication :
- La première lettre des étiquettes correspond à la localisation départementale de l’exploitation (H pour l’Hérault et G pour le Gard).
- La lettre C signifie la présence dans une AAC.
- Le nombre suivant correspond au numéro d’entretien.
- Le sigle suivant détermine la qualité des vins produits (AOP, IGP ou sans signe (SIG)).
- Le texte correspond au verbatim de l’enquêté (pour lequel la police de l’étiquette figure en rouge).
- La valeur de l’indicateur de synthèse correspond à une attribution de points selon différents paramètres et selon l’usage du glyphosate (axe des ordonnées, les non-utilisateurs pour la valeur 0, les utilisateurs proactifs pour la valeur 1, les utilisateurs non proactifs pour la valeur 2).
Rôle de l’expérience et des compétences
À partir de l’enquête, nous pouvons approcher l’expérience et les compétences des viticulteurs à partir des questions posées relatives à l’âge, la formation initiale, l’année d’installation, la labellisation AB ou HVE, ou encore la manière dont l’exploitant s’informe ou échange avec ses pairs. La représentation du continuum est réalisée selon la valeur de l’indicateur de synthèse correspondant à une attribution de points suivant ces différents éléments (axe des abscisses) et selon l’usage du glyphosate (axe des ordonnées, les non-utilisateurs pour la valeur 0, les utilisateurs proactifs pour la valeur 1, les utilisateurs non proactifs pour la valeur 2). Plus la valeur de l’indicateur de synthèse est élevée, plus le niveau de compétence et d’expérience est estimée important.
Selon l’usage décroissant de glyphosate, on observe un glissement vers la droite des exploitations pour lesquelles le niveau d’expérience et de compétences du décideur est le plus élevé.
On peut supposer que ces deux facteurs influencent l’utilisation du glyphosate : un niveau de compétences et d’expérience plus élevé est nécessaire pour ne pas en utiliser, permettant d’adopter de nouvelles pratiques et de mettre en place des alternatives. Ces deux facteurs sont également essentiels pour ceux qui continuent à utiliser du glyphosate, mais qui sont proactifs pour essayer de réduire son usage.
Utilisation des produits phytosanitaires (notamment du glyphosate)
Un indicateur « produits phytosanitaires » faible correspond à un exploitant appliquant seul ses produits, sous les seuls conseils de son distributeur et qui privilégie le prix et l’efficacité du produit. A l’opposé un indicateur élevé correspond à des exploitants possédant parfois un chef de culture, bénéficiant d’un conseil diversifié, s’estimant indépendants dans leur prise de décision, et se préoccupant de l’environnement et de la santé humaine pour le choix des produits.
Le groupe des viticulteurs n’utilisant pas de glyphosate a un score plus élevé que ceux qui en utilisent. Au sein des utilisateurs, les proactifs se distinguent avec un indicateur plus élevé. Cet aspect peut être expliqué par des viticulteurs ayant une plus grande volonté d’atténuer les effets des produits phytosanitaires sur l’environnement et la santé humaine, mais également par un conseil plus diversifié. Les viticulteurs utilisant du glyphosate et non proactifs peuvent être considérés comme dépendant du conseil informel de leur distributeur dans leur stratégie phytosanitaire.
Alternatives liées à la gestion du sol
Plus l’indicateur « gradient de gestion du sol » est élevé, plus l’exploitant a recours à des alternatives au désherbage chimique et accepte l’enherbement de ses vignes. Ainsi, les utilisateurs de glyphosate ont peu recours aux alternatives mécaniques, notamment ceux non proactifs, et ont un vignoble plus important en surface. Les proactifs se partagent entre peu utilisateurs et utilisateurs d’alternatives, mais avec une prédominance de ces derniers. Enfin, les non-utilisateurs de glyphosate se distinguent par un travail mécanique et un enherbement plus important.
On remarque que le fait de ne plus utiliser de glyphosate ou avoir la volonté de réduire son utilisation amène à un investissement matériel plus important, à un travail mécanique plus important et une place plus importante à l’enherbement des vignobles à certaines périodes.
Gradient de l’économie
Un léger basculement vers la droite est observé (indicateur économique de synthèse plus important) des viticulteurs n’utilisant pas de glyphosate par rapport à ceux en utilisant et proactifs ou non proactifs. Bien que les indicateurs choisis ne représentent pas de manière exhaustive la performance économique des exploitations, on peut quand même émettre l’hypothèse que les exploitations les plus stables économiquement ont une capacité plus grande à tester des alternatives et les adopter du fait de leur plus grande résilience.
A l’inverse, les exploitations moins résilientes, majoritairement des viticulteurs utilisant du glyphosate, resteront sur des solutions chimiques qui minimisent les risques et les coûts.
La stratégie productive
La stratégie de production relative au rendement, au positionnement qualitatif de la production (sans IG, IGP, AOP) et aux débouchés (cave coopérative ou autre) ne permet pas de discriminer des profils d’exploitation au regard de l’usage du glyphosate. Ceci est corroboré par le fait que les vignes sans IG ou avec IG sont de plus en plus enherbées mais la gestion de cet enherbement doit être contrôlée, par toute méthode existante et donc avec, ou sans glyphosate.
Facteurs de changement de pratiques (réduction du glyphosate)
Le principal facteur de changement pour les utilisateurs de glyphosate est la réglementation (valeur 1 de l’axe des abscisses). Les non-utilisateurs sont plutôt des exploitants ayant des « convictions » favorables au changement de pratiques (santé, environnement, …).
Les freins au changement de pratiques (perception par l’exploitant de freins importants)
La plupart des enquêtés mentionnent soit un manque de main-d’œuvre supplémentaire, soit le coût élevé des alternatives, voire les deux.
Les utilisateurs de glyphosate non proactifs sont plus nombreux à exprimer les deux principaux freins au changement (et même trois freins pour certains). Pour les proactifs généralement un seul frein est exprimé (majoritairement la main d’œuvre).
Niveau de satisfaction sur la gestion des adventices
En termes de satisfaction des pratiques vis-à-vis de la gestion des adventices, on remarque un niveau plus élevé pour les viticulteurs n’utilisant pas de glyphosate (niveau maximum de satisfaction pour les 4 interrogés). Pour ceux qui en utilisent, on remarque un niveau de satisfaction un peu plus élevé pour les proactifs comparé aux non proactifs. La baisse de la dose réglementaire à l’hectare (baisse à 1,25 L / ha depuis 2021) a contraint tous les viticulteurs utilisant du glyphosate, mais il semblerait que cela a été plus dur pour les non proactifs qui ne mettent en œuvre aucune alternative au désherbage chimique, et n’ont aucun souhait de changer de pratiques à court terme.
Une synthèse des différents indicateurs utilisés
Une synthèse est proposée prenant en compte certains indicateurs en positif (expérience et compétence, utilisation des produits phytosanitaires, gestion du sol et économie) et d’autres en négatif (commercialisation, rendement et irrigation). Plus le gradient est élevé, plus l’exploitation est dans une perspective positive de changement, de mise en œuvre d’alternatives en valorisant les expériences et la compétence, et est satisfaite de la conduite de l’exploitation.
Les exploitations à faible gradient sont soit des utilisateurs de glyphosate avec majoritairement des viticulteurs non proactifs (moyenne de 12 sur l’indicateur de synthèse). Les non-utilisateurs et les proactifs sont positionnés avec un fort gradient avec une moyenne de 18 points pour les proactifs et une moyenne de 25 pour les non-utilisateurs. On remarque également une disparité moins importante des non-utilisateurs montrant une adaptation commune et un contexte d’exploitation similaire.
Conclusion
Cette enquête ne reflète pas de manière représentative la viticulture des départements de l’Hérault et du Gard. Elle permet d’observer des pratiques assez différentes sur la question de l’utilisation du glyphosate. Il se dégage un continuum de pratiques allant de l’utilisation du glyphosate à son non-usage. Un faisceau d’information permet de mettre en évidence des possibles déterminants du changement de pratique de désherbage : la réglementation, l’expérience et les compétences, une résilience économique suffisante, la mise en œuvre des alternatives mécaniques avec le recours au matériel de désherbage adapté (ayant donné lieu à des investissements matériels) et des convictions du viticulteur (santé et environnement).
Les questions de superficie du vignoble (surface importante), de main d’œuvre (insuffisante ou indisponible pour les salariés) et de coût supérieur des alternatives au glyphosate constituent les principales raisons invoquées pour ne pas modifier les pratiques.
En matière d’utilisation du glyphosate, aucune tendance ne se dégage sur le fait d’appartenir ou non à une aire d’alimentation de captage. Cette étude ne permet pas de mettre en lumière le travail d’animation réalisé dans ces zones.
Glossaire et définitions
PBS : La production brute standard (PBS), par un jeu de coefficients attribués aux cultures et aux cheptels, donne une valeur au potentiel de production des exploitations. Elle permet de classer les exploitations en différentes tailles économiques. Le recensement agricole est l’occasion de revoir ce classement. Ainsi, à partir de 2020, sont considérées « micros », les exploitations dont la PBS est inférieure à 25 000 euros par an, « petites » celles dont la PBS est comprise entre 25 000 et 100 000 euros, « moyennes » celles avec une PBS comprise entre 100 000 et 250 000 euros et « grandes » celles de plus de 250 000 euros de PBS. Le calcul de la PBS permet aussi de classer les exploitations selon leur spécialisation (ou orientation technico- économique). Une exploitation est considérée comme spécialisée dans une production quand au moins deux tiers de sa PBS sont générés par cette production.
Les coefficients utilisés dans cette publication sont calculés à partir des prix et rendements moyens de la période 2015-2019, ce qui fournit les PBS aux prix de 2017.
QSA : Quantité de substance active
AB : Agriculture biologique
MAEC : Mesures agro environnementales et climatiques
SAU : Surface agricole utile
HVE : Haute valeur environnementale
IG : Indication géographique
IGP : Indication géographique protégée
AOP : Appellation d’origine protégée
BTS : Brevet de technicien supérieur
Contexte institutionnel
Ce stage, à l’initiative et encadré par la Draaf Occitanie, et plus particulièrement par ses services régionaux de l’alimentation et de l’information statistique économique et territoriale, avait pour objectif de donner la parole aux viticulteurs au travers d’entretiens concernant leurs pratiques de gestion du sol et phytosanitaires. Pour ce faire, le stage était suivi par un comité technique, composé de personnes reconnues pour leur expertise sur les territoires enquêtés, afin d’accompagner et appuyer la stagiaire dans son travail. Il s’est réuni quatre fois sur les six mois de stage.
La Draaf Occitanie et ses partenaires impliqués dans ce stage remercient chaleureusement les viticulteurs interrogés pour le temps accordé lors des entretiens et les réponses apportées.