FOCUS FILIERE FORET BOIS n° 1 ACCLIMAFOR : interview de Raphaël DELPI, chargé de projets au sein de FORESPIR

Depuis sa création, FORESPIR 1 a mené et/ou participé à de nombreux projets de coopération. Vous avez été chargé de coordonner le projet ACCLIMAFOR, entre 2019 et 2022, qui avait comme objectif d’évaluer les effets du changement climatique sur les espèces forestières pyrénéennes.

Pouvez-vous nous dire pourquoi cette coopération transfrontalière est importante pour étudier les impacts des changements sur la forêt ?

« Pour commencer, FORESPIR a été créé en 1999 dans le but de mettre en place des coopérations France/ Espagne/Andorre, suite au constat d’enjeux largement partagés par les forestiers pyrénéens, et du besoin de partager expériences et compétences spécifiques. Donc la coopération est dans notre ADN.
En ce qui concerne ACCLIMAFOR, de nombreuses similarités existent dans les problématiques liant gestion forestière et changement climatique de part et d’autre des Pyrénées. C’est le cas par exemple de forts stress hydriques ou encore de dépérissements liés au développement anormal de champignons pathogènes ou populations d’insectes ravageurs.
De plus, les méthodes et techniques sylvicoles pour adapter les forêts au changement climatique sont nombreuses et demandent un temps long pour être confirmées. La coopération, notamment par son envergure géographique, permet de bénéficier des précieux retours d’expériences de chaque partenaire.
 »

Cette forêt est multiple, à la fois ressource naturelle, écosystème riche en biodiversité et espace touristique et récréatif…, et elle concerne donc énormément d’acteurs.

Quels sont les principaux messages résultants de ce travail à destination des gestionnaires et décideurs des territoires forestiers ?

« Sur le plan opérationnel, nous avons travaillé dans deux directions :

  • Un suivi des effets du changement climatique sur les forêts pyrénéennes, action coordonnée par le CRPF Occitanie,
  • La mise en œuvre de plantations et gestions adaptatives, sous la coordination du CTFC.

En ce qui concerne l’impact du changement climatique sur la phénologie des principales essences, on observe des tendances très contrastées, qui peuvent aller de changements à peine perceptibles (cas du Hêtre), à un net avancement des dates de démarrage de la végétation, de l’ordre de 1 à 2 semaines sur une période de 10 ans (cas du Sapin pectiné). Il est à noter qu’au pas de temps forestier, ces mesures sont assez récentes (10 ans pour les plus anciennes). La confirmation ou infirmation des tendances demande donc de continuer ces mesures sur le temps long.
L’évolution de la flore forestière sur 46 espèces a également été analysée, dans le but de rechercher de possibles déplacements des optimums écologiques (altitude, latitude par exemple).
A ce jour les résultats sont assez contre-intuitifs. Ils traduisent plutôt une baisse altitudinale des optimums, que nous attribuons à la déprise agricole (donc à la recolonisation forestière d’espaces à basse altitude laissés libres), qui à ce jour aurait davantage de conséquence sur cet indicateur que le changement climatique.
Enfin, une analyse de l’état sanitaire des forêts a été faite sur la base des données « déficit foliaire » du réseau systématique européen (assuré en France par le Département Santé des Forêts), sur la période 1997- 2020.
Il en ressort une nette dégradation sur le versant Nord des Pyrénées sur cette période, avec :

  • une quasi-disparition des placettes « en bonne santé » (placettes pour lesquelles les arbres présentent un déficit foliaire compris entre 0 et 20%), qui passe de plus de 20% des parcelles, à moins de 5% en près de 20 ans.
  • l’apparition et l’augmentation du pourcentage de placettes qui présentent entre 40 et 60% de déficit foliaire. En 2020, cela concerne 13% des parcelles pyrénéennes contre 0% en 1997.
    L’effet est d’autant plus marqué sur les essences feuillues thermophiles (Chêne pubescent, Chêne vert…) dans la partie orientale du massif.
    Les essais de gestion adaptative et de plantations ont, quant à eux, été réalisés dans le but de créer un réseau de sites pilotes dans les Pyrénées. Les situations de départ et objectifs couvrent un large spectre de situations. C’est donc un réseau d’expérimentations précieux à suivre dans le temps et qui doit servir comme outil de formation, information, sensibilisation de publics divers. Toutes ces informations sont disponibles dans le guide que nous avons élaboré dans le cadre du projet.

Nous avons édité plusieurs documents de synthèses et opérationnels :
• Guide pratique de gestion pour l’adaptation des forêts pyrénéennes au changement climatique (2023)
• Lignes directrices pour l’intégration de l’adaptation au changement climatique dans la gestion forestière pyrénéenne (2022)
• Guide de gestion adaptative (2019) »

Une série de fiches « Indicateurs du changement climatique » et des vidéos, ont été produites par le projet, afin de transférer ces connaissances aux acteurs concernés,

Suite à cette diffusion, Quelles réactions avez-vous pu recueillir de la part de ces acteurs ?

« Nous observons un fort intérêt pour les réponses techniques, opérationnelles. Aussi nous essayons, autant que possible, de répondre à cette attente en éditant des documents pratiques et synthétiques, qui reçoivent un bon accueil.
Nous éditons aussi des vidéos, qui visent plutôt à faire connaître les actions en cours d’un point de vue non-expert. Cela doit aussi contribuer, avec toutes les actions engagées par les acteurs de la filière, à sensibiliser le grand public sur la vulnérabilité des forêts de notre massif et sur les nombreux services écosystémiques qui peuvent être mis à mal en cas de crise grave, comme des dépérissements massifs par exemple.
 »

Votre réseau s’intéresse au devenir de ces milieux forestiers d’importance, qui sont soumis à des changements globaux qui peuvent les fragiliser et les faire évoluer dans le temps.

Après cet important travail, quelles suites et quelles perspectives peuvent être données à moyen et long terme ?

« L’essentiel est de « ne pas mettre tous les arbres dans le même camion », et de s’adapter aux enjeux sociétaux.
Les essences qui ne sont pas en limite d’aire de répartition devraient pouvoir être maintenues. En revanche, ces limites sont mouvantes, et on peut observer d’importantes difficultés dans des peuplements autrefois bienvenants, comme dans le cas du Sapin sur le plateau de Sault. Il est donc essentiel de mettre en œuvre un large éventail d’approches.
Certaines seront des échecs, d’autres des succès, mais le salut passe par la diversité, donc par le catalogue d’essais que nous pouvons mettre à disposition des générations futures.

Les organismes forestiers sont pleinement mobilisés. Nous avons présenté deux projets, que nous espérons voir programmés en 2024 :

  • Le projet SANA SILVA, présenté au programme INTERREG transfrontalier POCTEFA, vise à aborder les questions de la santé des forêts en contexte de changement climatique à l’échelle des Pyrénées.
  • Le projet COOPTREE, présenté au programme INTERREG transnational SUDOE, dédié surtout à la connaissance et à la conservation des ressources génétiques forestières dans le sud-ouest de l’Europe, et à la gestion opérationnelle pour préserver ces ressources.

Ce sont deux projets qui répondent à des besoins exprimés par les opérateurs forestiers, pyrénéens dans le cas de SANA SILVA, et du sud-ouest de l’Europe (Espagne, France, Portugal, Andorre) pour COOPTREE. Ils doivent tous les deux permettre d’aboutir à structurer des réseaux opérationnels d’experts, faciliter des échanges de connaissance et déployer des outils et des solutions innovantes pour aider nos forêts à faire face à ces évolutions climatiques et leurs conséquences. »

Aujourd’hui, en France et en Europe, de multiples projets existent sur la problématique de l’adaptation de la forêt au changement climatique ; les experts développent partages d’informations et approfondissement des savoirs pour répondre à ce grand défi. Il parait important que les citoyens, les habitants du territoire, puissent aussi comprendre les enjeux et l’état actuel des connaissances.

Comment à votre avis, faire d’avantage connaître ces problématiques et les connaissances acquises au plus grand nombre, y compris à des non spécialistes ?

« On observe malgré tout une grande méconnaissance de la gestion forestière par le grand public, et en conséquence une tendance à la cristallisation du débat. De plus, on demande à la forêt de répondre à des enjeux multifonctionnels, qui peuvent parfois entrer en contradiction. La difficulté est de faire passer de la nuance dans ces sujets mal connus, et parfois de la cohérence.
Aucun choix n’est parfait, et comporte donc un lot d’avantages et effets négatifs. Par exemple, on ne peut pas à la fois prôner l’utilisation de bois local dans les constructions, et refuser sa récolte. On ne peut pas simplement « laisser faire la forêt » face au changement climatique, sans risquer d’hypothéquer la ressource en bois de nos descendants. Mais nous ne devons pas non plus renier les erreurs passées et les perpétuer.

En bref, je pense qu’il faut de la nuance, de la cohérence, continuer à tirer les leçons du passé, et montrer plus fortement que c’est un apprentissage. Nous avons la chance d’avoir une gestion forestière multifonctionnelle et pas une juxtaposition de gestions monofonctionnelles, comme cela peut être le cas dans d’autres pays. C’est un héritage précieux qu’il faut défendre et expliquer au plus grand nombre, de même que ce que les forestiers font tous les jours pour ces forêts. »

Remerciements
Emmanuel Rouyer, CRPF Occitanie ; Sébastien Chauvin, FORESPIR

Notes et références

1réseau de coopération transfrontalier entre la France, l’Espagne et Andorre
sur la thématique de la forêt pyrénéenne


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